mardi 5 mai 2009

Kenneth Arnold face aux sceptiques




Le 24 juin 1947, l'observation célèbre de l'homme d'affaires américain Kenneth Arnold, à bord de son avion, ouvrit l’ère des " soucoupes volantes ". Cette observation d’Arnold, si elle n'apporte pas une « preuve décisive » de la réalité des ovnis, reste cependant exemplaire en raison de sa qualité (elle était encore citée dans un rapport militaire top-secret de décembre 1948, un an et demi plus tard). C'est sans doute la raison pour laquelle les sceptiques s'acharnèrent à lui trouver une explication prosaïque, sans jamais parvenir à l'éliminer. Ils ont voulu aussi y voir le premier cas historique du phénomène de rumeur médiatique, qui reste l'un des arguments classiques de l'approche purement «psycho-sociologique » concernant les ovnis. Certaines de ces critiques émises contre Arnold sont burlesques, et l'histoire mérite d'être brièvement racontée. A ce propos, l'explication officielle de l'armée de l'air américaine reste, aujourd'hui encore, qu'Arnold avait vu un mirage. Voyons donc ce mirage, qui a été réétudié à fond par... un physicien militaire américain.




Kenneth Arnold et son avion


II se trouve qu'un physicien américain, le Dr Bruce Maccabee, a réétudié dans le détail l'observation de Kenneth Arnold, et a pleinement confirmé sa validité, réfutant au passage les tentatives précédentes d'explication par les « sceptiques ». Il est intéressant de signaler ici la situation singulière de Bruce Maccabee : docteur en physique, spécialiste d'analyse photographique, il est depuis de nombreuses années physicien dans la Marine, c'est à dire qu'il travaille dans une institution qui nie officiellement la réalité des ovnis. Or cela ne l'a pas empêché de devenir l'un des ufologues les plus réputés aux Etats-Unis, en dépit de certaines critiques qui ont essayé sans succès de le discréditer, comme celle du « sceptique » bien connu Philip Klass, remarquant avec ironie que Maccabee semble ne rien faire d'autre que de l'ufologie aux frais des contribuables américains. Son curriculum montre qu’il n’en est rien, et que cette critique était diffamatoire. Quoi qu'il en soit, Maccabee nous a offert une remarquable analyse du cas, présentée notamment au symposium de 1997 du principal organisme américain d'ufologie, le Mutual UFO Network (MUFON).




Le physicien Bruce Maccabee


En deux mots, Kenneth Arnold était aux commandes de son avion d'affaires, et se dirigeait vers le mont Rainier, dans l'Etat de Washington (Nord-Est des Etats-Unis). Il aperçut au loin une série de neuf engins volants qui ne ressemblaient pas à des avions. Très effilés, sans queue, ils paraissaient onduler, et réfléchissaient par moments la lumière du soleil. Ces étranges objets volants traversèrent rapidement tout le paysage, passant devant le mont Rainier, un sommet de 4 392 m. Ceci permit à Arnold d'estimer avec une bonne précision la distance, les dimensions des appareils, et surtout leur vitesse, en chronométrant la durée de leur trajet : 1 900 km/h ! C'était une vitesse très supérieure à celle de tous les avions de l'époque. L'idée qu'il pouvait s'agir d'engins secrets, de missiles, a pu être écartée également. En bref, Arnold avait fait la première observation médiatisée, historique, de soucoupes volantes ! Bien entendu, les sceptiques se sont acharnés à mettre en doute ses estimations, mais le physicien Maccabee a repris ses calculs et les a confirmés. Voici le résumé de l’analyse, faite par le physicien de la Marine Bruce Maccabee, de l’observation de Kenneth Arnold le 24 juin 1947. Maccabee l’a exposée en 1997 au symposium annuel du MUFON (Mutual UFO Network). Il s’est inspiré étroitement des documents disponibles qui sont, d’une part le rapport écrit que fit Arnold à l’armée de l’Air peu après, et son propre livre, écrit en 1952, The Coming of the Saucers.


Kenneth Arnold volait dans la région du mont Rainier, dans l’état de Washington (au nord-ouest des Etats-Unis), après avoir terminé un vol d’affaires (il vendait et installait des équipements de lutte contre l’incendie, dans cette région très forestière). Il avait décidé de passer une heure à rechercher l’épave d’un avion écrasé, pour lequel était offerte une récompense de 5 000 dollars. Peu après avoir survolé la petite ville de Mineral, Il observait attentivement le paysage, en cette journée de très beau temps et de ciel bien dégagé, avec une bonne visibilité jusqu'à 80 km. Arnold volait à environ 2 800 m d’altitude (9 200 pieds) vers le mont Rainier, haut de 4 392 m, qui se trouvait devant à l’est, à environ 35 km (22 miles), et il se dirigeait vers la ville de Yakima, située au delà de la montagne à 130 km (80 miles) plus à l’est (voir le schéma plus loin).




Le mont Rainier, haut de 4 392 m


Le mont Rainier est le sommet le plus élevé d’une chaîne de montagnes volcaniques, les “Cascade Mountains ”, comprenant notamment, parmi les sommets les plus élevés, à 200 km au nord le mont Baker, haut de 3 285 m, près de la frontière canadienne, et à 76 km (47 miles) au sud le mont Adams, haut de 3 751 m. Ainsi, c’était un vaste panorama montagneux, avec quelques hauts sommets, qui s’étalait du nord au sud devant Kenneth Arnold. Vu de loin, le mont Rainier est un superbe cône coiffé de neiges éternelles.




Carte de la région


Vers 15 h, l’attention d’Arnold fut attirée par un éclair de lumière brillant qui vint frapper son avion. Il crut d’abord qu’un autre avion passant tout près de lui avait réfléchi la lumière du soleil, mais il ne put repérer qu’un avion au loin, un quadrimoteur DC-4, sur sa gauche. Soudain, il vit de nouveau un éclair, et repéra cette fois sa direction, loin sur sa gauche et plus haut que lui. Il vit alors une formation d’objets brillants, dans la direction du mont Baker, tout au nord du paysage. Arnold pensa d’abord à une formation d’avions militaires qui lui renvoyaient la lumière du soleil en s’inclinant lors d’un virage. Comme ils s’approchaient vers le mont Rainier, il parvint à les compter - neuf appareils - et il commença à distinguer leur forme. Il fut alors très surpris de découvrir qu’ils semblaient ne pas avoir de queue. Il supposa d’abord qu’elles étaient camouflées. En continuant à les observer, il remarqua que ces appareils semblaient voler, non pas en droite ligne, mais comme en ondulant, comme des soucoupes ricochant sur l’eau (c’est de là que provient l’expression “ soucoupe volante ”) et c’était pour cela qu’ils renvoyaient régulièrement ces éclairs de lumière du soleil, très visibles même lorsque les engins se détachèrent devant les pentes enneigées du mont Rainier. Leur surface devait être polie comme un miroir pour réfléchir le soleil aussi fortement. Alors qu’il se rapprochait progressivement, Arnold distingua mieux leur forme, qu’il décrivit comme un demi-cercle à l’avant, deux côtés courts parallèles, et une partie à l’arrière en forme d’angle convexe. Ces objets lui parurent très plats, avec une épaisseur égale à 1/20 de leur longueur. Le physicien Maccabee met en doute cette estimation car, sur le dessin qu’a fait ensuite Arnold dans son rapport écrit à l’armée de l’air, ils sont plus épais, environ 1/11 de la longueur. Ce détail a son importance comme on va le voir plus loin.




Le dessin de la soucoupe par Kenneth Arnold


Les engins volant dans une direction perpendiculaire à la sienne, Kenneth Arnold, pilote expérimenté qui connaissait parfaitement la région, essaya de mesurer leur vitesse, en repérant leur passage devant le mont Rainier, puis le mont Adams qui se trouve à environ 76 km (47 miles) plus au sud. Il compta le temps de passage des objets entre ces deux points de repère - 102 secondes - au moyen de l’horloge de son tableau de bord (son observation allait durer au total de deux minutes et demi à trois minutes), et en déduisit une vitesse stupéfiante de plus de 2 800 km/h (1 760 miles/h). C’était une vitesse très supérieure à celles des avions les plus rapides de l’époque. Le mur du son allait être franchi pour la première fois en octobre de la même année par l’avion-fusée Bell X1. Arnold fut si surpris que, dans son témoignage, il réduisit son estimation à 1 900 km/h (1200 miles/h). Il faut noter ici que cette estimation de la vitesse supposait que les engins avaient vraiment parcouru cette distance séparant les deux montagnes, ce qui était le cas s’ils volaient près de celles-ci, donc à une distance de plus de 30 km. Or Arnold supposa qu’ils étaient un peu plus près, à environ 15 miles, soit 24 km. A cette distance, une simple règle de trois donne 1 400 Km/h, vitesse encore impressionnante. Mais le physicien Maccabee remarque qu’il avait probablement sous-estimé leur distance car, à un moment de son récit, Arnold signale que les engins passent derrière une première chaîne de montagnes, située entre lui et le mont Rainier à une distance de 32 km (20 miles). Cela nous donne une estimation assez précise de la distance, dans une fourchette étroite de 32 à 35 km, et son estimation de leur vitesse était donc très correcte. Autre détail intéressant, Arnold put estimer que les neuf appareils étaient échelonnés sur une distance totale d’environ 8 km, en le voyant défiler devant le mont Adams.




Schéma des trajets d’Arnold et des ovnis






Montagnes au sud-ouest et au sud du mont Rainier (photos G. Bourdais, début juillet 1995)


Arnold estima également l’altitude des engins, 2 900 m (9 500 pieds), et leur dimension en la comparant visuellement au DC-4, volant à une distance lui sembla équivalente, et il leur trouva environ 12 à 15 mètres (45 à 50 pieds) de longueur. Maccabee pense quant à lui que, Arnold ayant sous estimé leur distance, il avait du même coup sous-estimé leur longueur. Une simple règle de trois (32/24) nous donne une fourchette de 16 à 20 m. Avec un calcul plus précis, Maccabee propose une longueur de 24 m. On le voit, il subsiste une marge sur les estimations d’Arnold, mais si nous retenons les points essentiels de son témoignage, notamment la vitesse étonnante et la forme non moins étrange des objets, on peut conclure qu’Arnold avait vu, très probablement, des “ objets volants non identifiés ”. C’est bien la conclusion à laquelle il allait lui même arriver, et à laquelle il allait se tenir pendant toute sa vie, en dépit de pressions de toutes sortes, éprouvantes pour lui et pour sa famille.

Il faut ajouter encore un point important : peu après le rapport de Kenneth Arnold, l’armée de l’Air américaine reçut un autre témoignage, celui d’un prospecteur minier qui se trouvait dans la région du mont Adams au même moment que l’observation d’Arnold et qui affirma avoir vu passer les ovnis au dessus de lui. Dans une lettre à l’armée de l’Air datée du 20 août, Fred Johnson raconte qu’il vit passer les soucoupes à environ 300 m au dessus de lui, et qu’il eut même le temps de les observer avec des jumelles. Il vit comme des objets rapides et silencieux d’environ dix mètres de large, de forme ovale et avec une surface brillante. Il distingua même à l’arrière une sorte de queue qui semblait osciller comme l’aiguille d’un aimant. Johnson avait une boussole et il nota que son aiguille oscillait fortement juste avant leur passage mais revenait en position stable juste après. Intéressante confirmation de l’observation d’Arnold, et provenant d’un témoin totalement indépendant ! Mais quels ont été, et sont encore aujourd’hui, les arguments des sceptiques ?



Les astronomes sceptiques


L’astronome Allen Hynek, avant de devenir l’un des piliers de l’ufologie américaine dans les années 70, fondateur de l’un des trois principaux groupes d’études des ovnis, le Center for UFO Studies (CUFOs), avait fait une longue carrière de conseiller scientifique pour la commission militaire d’enquête sur les ovnis, à partir de 1948. Comme il l’a lui même raconté ensuite dans plusieurs livres, il ne croyait pas du tout aux ovnis à l’époque et se faisait un devoir de trouver, comme on le lui demandait, des explications prosaïques, le plus souvent astronomiques, aux observations d’ovnis. Et il ne manqua pas à son devoir pour l’observation de Kenneth Arnold. L’argumentation de Hynek reposait d’abord sur l’acuité visuelle normale de l’œil humain, censée distinguer une distance angulaire minimum de 3 minutes d’arc. Rappelons qu’une minute d’arc est égale à 1/60 de degré. Par comparaison, la Lune a un diamètre apparent d’environ ½ degré, soit 30 minutes d’arc. Or cette valeur de trois minutes était excessivement élevée. En réalité, comme l’ont souligné tous les critiques de Hynek, l’œil humain “ normal ” peut distinguer en moyenne une minute d’arc. Cette mesure avait été trouvée par Helmholtz sur une population de jeunes adultes. De plus, la performance est bien meilleure si le sujet regarde un trait noir sur fond blanc, ce qui était le cas de Arnold quand les soucoupes étaient bien à l’horizontale et de réfléchissaient pas le soleil.
Arnold était un homme jeune qui ne portait pas de lunettes, et il avait sûrement une bonne vue pour avoir obtenu son brevet de pilote. Pour mieux voir les soucoupes, il avait fait virer son avion dans la même direction et ouvert la verrière coulissante. Mais revenons à l’argumentation de Hynek. Celui-ci prenait Arnold au pied de la lettre pour son estimation de l’épaisseur des engins , environ 1/20 de leur longueur. Il prenait ensuite comme estimation de leur éloignement la distance la plus élevée que l’on pouvait trouver dans le témoignage d’Arnold , soit 40 km (25 miles). Il déduisait de ces trois données que les soucoupes auraient du avoir une longueur de 600 m environ et une épaisseur de 30 m ! Valeurs impossibles et ridicules, donc il fallait réviser tous les chiffres, expliqua Hynek. Il décida que Arnold avait vu en fait des avions. Les plus grand avions de l’époque avaient jusqu'à 120 m de long et 10 m de haut. Si l’on supposait d’autre part que ces avions n’étaient pas à plus de 6 miles (3,7 km), leur vitesse tombait alors à 250 km/h (400 mph), et tout rentrait dans l’ordre des choses banales. En fait, les estimations d’Arnold sont cohérentes vis à vis de l’acuité visuelle admise en médecine : il avait pu voir ce qu’il avait décrit.
A ce sujet, on peut citer ici l’analyse du cas publiée en 1956 par le capitaine Edward Ruppelt dans dans son livre The Report on Unidentified Flying Objects. Ruppelt avait été pendant près de trois ans (de 1951 à 1953) le responsable de la commission d’enquête de l’armée de l’air, pour laquelle travaillait l’astronome Hynek. Ruppelt s’était bien démarqué de l’attitude fortement sceptique de la commission en écrivant son livre. Sur cette question de la dimension des ovnis vus par Arnold, il penchait, avec certains membres de la commission, en faveur d’une longueur encore plus grande, de l’ordre de 60 m (210 pieds) ou plus. Curieusement, l’astronome Hynek, même longtemps après avoir complètement changé d’avis sur les ovnis, en est resté à sa première analyse sur Kenneth Arnold. Il est toujours difficile de reconnaître une erreur passée.

Après Hynek entre en lice un astronome réputé, Donald Menzel, avec son premier livre sur les ovnis, Flying Saucers, paru en 1953. Un livre qui allait rester pendant des années la référence scientifique sur le sujet, traduit dans plusieurs langues (y compris le russe) et présent dans toutes les bibliothèques. Curieusement, Menzel rejeta l’explication de Hynek. En fait, il ne s’embarrassa pas de calculs aussi subtils. Il décida que, pendant la durée totale de l’observation - 3 minutes - les objets n’avaient pas franchi plus de 40 km (25 miles), ce qui avait pour conséquence de ramener leur vitesse à 800 km/h (500 miles/h) : une vitesse encore assez surprenante, nota-t-il...Mais cette distance de 40 km ne correspondait nullement, on l’a vu, à l’observation qui se trouvait plutôt à 80 km ! Menzel pencha ensuite pour une nature autre que celle d’avions (neuf avions à 800 km/h, cela faisait quand même bizarre à l’époque). Il supposa qu’Arnold avait vu en réalité des nuages de neige gonflés au dessus des sommets, causés par les turbulences le long des chaînes de montagnes. Ces nuages de neige pouvaient réfléchir la lumière du soleil comme un miroir, remarqua-t-il, et les crêtes rocheuses pouvaient les faire onduler. Qu’en dit le physicien Maccabee, quarante-cinq ans plus tard ? Soulignant le caractère étonnant des formations nuageuses imaginées par Menzel, il conclut ceci : “ ...même si un phénomène atmosphérique aussi étonnant s’était produit, il est difficile d’imaginer comment Arnold aurait pu manquer d’identifier des nuages de neige emportée en haut des sommets, d’autant plus qu’il passa juste à 12 miles (20 km) au sud du mont Rainier quelques minutes après son observation ”. Mais Menzel était un homme plein de ressources, et il proposa une “ autre possibilité ”. Peut-être y avait-il eu une fine couche de brouillard, ou de poussière, déplacée violemment par la circulation de l’air et qui avait réfléchi la lumière du soleil. Maccabee est encore plus sceptique sur cette explication, remarquant que le soleil se trouvait alors haut dans le ciel et derrière Arnold, que le vent n’aurait pu que disloquer une telle couche et qu’on ne comprend pas du tout comment celle-ci aurait pu réfléchir le soleil comme un miroir. Et là aussi, comment un pilote expérimenté qu’Arnold, connaissant bien ces montagnes, aurait-t-il pu se tromper à ce point en observant une couche de brouillard ? .




L’astronome Donald Menzel


Peut-être conscient du caractère par trop évanescent de ces explications, Menzel n’en resta pas là. Dix ans après son premier livre, il publia son deuxième livre, avec Lyle Boyd : The World of Flying Saucers, dans lequel il proposa trois nouvelles explications sur le témoignage d’Arnold : des mirages au sommet des montages, des “ nuages orographiques ”, et des “ vagues de nuages en mouvement ”. Le problème, avec l’idée d’un mirage, c’est que ceux-ci se produisent au dessus des montagnes. Or Arnold avait bien noté qu’il avait vu les soucoupes se détacher sur les flancs enneigés du mont Rainier. Un détail omis, bien entendu, par Menzel. Les nuages orographiques, nous signale Maccabee dans son critique de toute cette affaire, sont des formations circulaires qui peuvent apparaître dans le vent descendant d’un sommet. Ils se déplacent peu et peuvent produire des reflets brillants. Pourquoi a-t-il seulement cité une telle “ explication ”, s’interroge Maccabee ! La cinquième explication de Menzel consistait simplement à remplacer la neige de la première version par de la vapeur d’eau. Mais de nouveau, cette hypothèse échoue à expliquer les réflections brillantes, l’aspect d’objets semi-circulaires, et la grande vitesse de déplacement. Avec une constance extraordinaire, l’astronome Menzel revint encore à la charge, dans son troisième et dernier livre, The UFO Enigma , paru juste avant sa mort en 1977. Il y proposa sa sixième explication : Arnold avait vu des gouttes d’eau sur son pare-brise ! Hélas, il avait oublié un détail du récit : Arnold avait tourné son avion de côté et ouvert sa fenêtre pour mieux voir les ovnis. Et l’observation du prospecteur minier Fred Johnson ? Menzel admit qu’il avait bien vu quelque chose, mais supposa qu’il avait observé des reflets brillants sur des nuages. Or Johnson avait vu, à la fin de son observation, les ovnis rentrer dans un nuage. Quant à la dérive de l’aiguille de la boussole, supposa Menzel, sans doute Johnson, dans son excitation, l’avait-il tenue de travers ! Etonnant, de la part d’un homme qui exerçait ce métier depuis quarante ans.
Dans sa remarquable étude sur Arnold, le physicien Maccabee conclut notamment ceci : “ Les explications ” de Hynek et Menzel ont aidé à établir la tradition que nous vivons encore aujourd’hui, selon laquelle les soucoupes/ovnis sont toutes des erreurs, ou des tromperies, ou des illusions, et qu’il n’y a aucune raison de s’inquiéter... Cependant, une analyse attentive de témoignages comme celui de Kenneth Arnold et Fred Johnson montre que cette tradition est un château de cartes construit sur du sable, en train de s’effondrer ”.



Les nouveaux sceptiques : avions secrets et pélicans !


Ce remarquable travail de Bruce Maccabee a-t-il enfin conduit les sceptiques à laisser en paix la mémoire de Kenneth Arnold ? Pas du tout ! Depuis cette date, de nouvelles critiques sont apparues, notamment sur Internet où la bataille des pro et des anti-ovnis fait rage. C’est le cas sur la “ liste ” nord-américaine “ UFO Updates ”. Certains soutiennent, par exemple, que non seulement l’observation d’Arnold, mais en fait de nombreuses observations d’ovnis, étaient dues à des avions secrets, américains ou russes. Cette thèse a pour origine la légende des “ soucoupes nazies ” qui avait fait son apparition au début des années 50 et avait eu un certain succès dans la presse populaire de l’époque, toujours friande de sensationnel. Selon cette rumeur, dont l’origine est pour le moins suspecte, des scientifiques et ingénieurs allemands avaient mis au point secrètement des ailes volantes et même des soucoupes volantes vers la fin de la seconde guerre mondiale, puis avaient travaillé, toujours aussi secrètement, pour les Américains et les Russes. Ainsi s’expliquerait l’escadrille aperçue par Arnold en 1947 : c’étaient des engins secrets américains, à moins qu’ils ne fussent soviétiques ! La réponse à ce genre d’allégation est simple : l’histoire de l’aviation de l’époque est suffisamment connue pour pouvoir affirmer qu’il n’y avait pas d’appareils aussi étonnants et performants à cette époque. Il y avait eu effectivement des prototypes d’ailes volantes comme celles des frères Horten, en Allemagne. L’une d’elles devait même être équipée de moteurs à réaction, mais tout cela était encore balbutiant à la fin de la guerre. Quant aux Américains, ils avaient bien construit un drôle d’avion à hélices plus ou moins en forme de disque, le V-173 de la compagnie Chance-Vought, Mais cet avion bizarre avait juste fait quelques essais en 1942 sur la côte Est des Etats-Unis. Un prototype plus avancé, l XF5U-1 avait aussi été construit, mais il n’avait jamais décollé et, trop coûteux et compliqué, avait été abandonné au début de 1947 (voir l’article sur le livre de Nick Redfern au chapitre sur Roswell).

Cela n’a pas empêché certains auteurs, comme les Anglais Tim Matthews et Bill Rose, de suggérer que ces recherches avaient été poursuivies secrètement et qu’avaient été mis au point des avions ultra secrets, responsables de la vague de soucoupes volantes de 1947, y compris l’observation d’Arnold, bien entendu. Que peut-on répondre à cela ? Tout simplement que, même si l’armée avait décidé de poursuivre quelques essais secrets, par exemple sur la base d’Edwards en Californie, ce dont il n’existe aucune preuve, l’idée qu’une escadrille d’avions secrets supersoniques ait pu à l’époque survoler à vitesse supersonique les Etats-Unis est une plaisanterie.

Une autre “ explication ” a encore surgi en 1999 sur internet, celle d’une confusion avec un vol de ...pélicans ! L’auteur en est encore un Anglais, James Easton, qui s’est taillé une solide réputation internationale de sceptique. Notons au passage que le scepticisme sur les ovnis est maintenant aussi répandu en Grande-Bretagne qu’en France, qui détenait naguère la palme en la matière. A vrai dire, la théorie des pélicans a été vite éliminée par les critiques, tellement elle était éloignée de toutes les données de l’observation. Bruce Maccabee a fait observer, par exemple, que l’on voit mal des pélicans produire un flash brillant en réfléchissant la lumière du soleil, et qu’ils seraient beaucoup moins blancs que la neige au soleil : en fait, il se seraient détachés comme des objets sombres devant les pentes enneigées du mont Rainier. Un ufologue américain réputé, Jerome Clark, a proposé, en guise de conclusion à cette comédie, de parler désormais de « pélicanistes » et de “ pélicanisation ” pour toute explication farfelue de cet acabit. .



Débat dans la revue LDLN sur cet article


Mon article sur Kenneth Arnold a été publié dans la revue Lumières dans la Nuit (LDLN) numéro 359 de janvier 2001. Il a suscité des réactions, publiées dans le numéro 260 d’avril 2001. Ma réponse a été publiée plus tard, dans le numéro 363 de janvier 2002. Cet échange s’étant ainsi étalé sur une année, a été peut- être difficile à suivre par les lecteurs. Etant donné qu’il s’agit d’un cas « fondateur » de l’ufologie mondiale, il me parait intéressant de le regrouper ici.


1 - Les critiques (LDLN 359, avril 2001)


M. Alain Deschamps nous apprend que l'explication à base de pélicans, pour l'observation de Kenneth Arnold, ne date pas d'hier. Voici ce qu'il nous écrit: Page 22 (2eme colonne, dernier alinéa) du dernier numéro de LDLN, Gildas Bourdais parte de l'explication de l'observation de Kenneth Arnold par un vol de pélicans. J'ai dans mes archives une photocopie de la une de The British Columbian (un quotidien de New Westminster, Colombie Britannique, Canada) du samedi 12 juillet 1947. En 5eme colonne, il y a un court article intitulé: « Pour lui, les soucoupes volantes sont des pélicans »: « Spokane, Washington, 12 juillet (BUP) « Un pilote chevronné des Northwest Airlines qui survole depuis 15 ans « le pays des soucoupes volantes », dans le Nord-Ouest des Etats-Unis, a brisé le charme qui entourait le mystère des disques volants. « Tout ce que les gens ont vu », a-t-il déclaré, « ce sont des pélicans. Ou peut-être des oies ou des cygnes. » « Le commandant Gordon Moore a révélé que son copilote, Vern Kesler, et lui avaient fait la chasse aux soucoupes mercredi dernier à l'occasion d'un vol régulier entre ici et Portland (Oregon). Kesler était persuadé d'avoir vu quelques soucoupes volantes le 2 juillet, et les deux pilotes avaient emporté des caméras et des jumelles en prévision d'une nouvelle rencontre. « Soudain, nous avons aperçu neuf grands disques qui filaient vers le nord, deux mille pieds (environ 700 m) au-dessous de nous, a raconté Moore. « Nous avons regardé mieux, et nous avons eu confirmation que c'était bien ça... que c'était bien des pélicans. »

Autre réaction à l'article « Kenneth Arnold face aux sceptiques » : celle de Max Sinquini, qui a une grande expérience du vol, en avion et en hélicoptère. Il trouve excessive l'estimation de distance proposée par Maccabee, et ne croit pas à la possibilité de distinguer à une telle distance des objets de taille aussi réduite.

Autre réaction : Notons encore que le Dr Maccabee n'est pas un physicien de la Marine américaine, mais un médecin. L'erreur vient à l'évidence du terme physician, qui désigne un médecin (physicien se disant physicist). Maccabee n'en est que plus qualifié pour émettre un avis sur la question, même s'il peut -comme tout le monde- se montrer optimiste dans certaines de ses estimations.



2- Mes réponses aux critiques (LDLN 363, janvier 2002)


Je commence par la dernière critique, à laquelle il est facile de répondre. Non, l'Américain Bruce Maccabee n'est pas médecin ! Il est bien physicien, docteur en physique. La confusion vient sans doute de ce que, en anglais, l'usage est d'appeler « Dr » toute personne titulaire d'un doctorat universitaire, quelle que soit la matière, alors qu'on ne l'emploie en français que pour la médecine. Né en 1942, Maccabee a obtenu son doctorat en physique, à l'Université de Washington, en 1970. II a longtemps travaillé pour la Marine américaine comme physicien de recherche au Centre des armes de surface à Silver Springs, Maryland. Il est notamment spécialiste des lasers à haute puissance. (Note : en me relisant, je vois une autre cause de confusion : en France, on connaît bien l’expression « médecin de la marine » mais pas celle de « physicien de la marine » ! Ca n’existe pas, m’a affirmé un médecin ufologue. Bon, il faut bien peser ses mots !)

Je reprends maintenant la critique de mon ami Max Sinquini sur la vision des avions à grande distance, que Joël Mesnard a mentionnée dans LDLN : « il trouve excessive l'estimation de la distance proposée par Maccabee, et ne croit pas à la possibilité de distinguer à une telle distance des objets de taille aussi réduite ». En fait, j'ai manqué de précision dans mon article, et cette critique pertinente de Sinquini me donne l'occasion de revenir sur ce point important et controversé.

Comme je l'ai expliqué dans mon article, lorsque Kenneth Arnold fit son observation, il était à environ 22 miles du Mont Rainier, soit environ 35 km en chiffres ronds. Il vit passer les neuf ovnis devant les pentes enneigées de la haute montagne, et estima qu'ils devaient être à environ 15 miles de lui, soit 24 km. C'est d'ailleurs à partir de cette estimation de leur distance qu'il estima leur vitesse à 1 900 km/h en comptant leur temps de passage. Arnold observa un quadrimoteur Douglas DC-4, qui volait, lui sembla-t-il, à peu près à la même distance. Il remarqua que la taille des ovnis était comparable à la distance séparant les deux moteurs les plus éloignés, et il s'en servit pour estimer la dimension des ovnis : environ 12 à 15 m selon lui. Sur ces estimations, on peut déjà se poser deux questions : Arnold pouvait-il bien distinguer un DC-4 à cette distance ? Et à quelle distance les ovnis étaient-ils réellement ?

Dans mon article, j'ai présenté une objection faite par Bruce Maccabee sur l'estimation de la distance des ovnis faite par Arnold. Celui-ci signale dans sa déposition écrite (qu'on trouve dans les archives de la commission « Livre Bleu ») qu'il les vit disparaître derrière une montagne proche du mont Rainier (les photos illustrant mon article montrent qu'il y en a en effet), ce qui permet à Maccabee de mettre en doute l'estimation de distance d'Arnold : ils étaient sans doute beaucoup plus proches du mont Rainier, dans une fourchette de 32 à 35 km, et donc leur taille devait être plus importante.

Voyons la question la plus délicate, soulevée par Max Sinquini : même si Arnold avait une bonne acuité visuelle (ce qui est probable car il était un jeune pilote), pouvait-il voir un DC-4 à une telle distance ? J'en ai discuté avec Sinquini et j'ai compris que mon article était imprécis : on pouvait comprendre par erreur que Arnold croyait avoir vu le quadrimoteur à plus de 20 miles, ce qui est en effet peu crédible. Mais Arnold parlait de 15 miles. Peut-on distinguer un DC-4 à une distance de 24 km (15 miles), y compris ses quatre moteurs, dans des conditions favorables : par beau temps et à 2 800 m d'altitude?
Les dimensions du DC-4 sont de 117 pieds d'envergure (35,6 m), et 94 pieds de longueur (28,6 m). Maccabee suppose que la distance entre les deux moteurs externes devait être de 60 pieds environ (18 m). (Note : selon Joël Mesnard, les distances exactes sont respectivement 35,8 m et 16,1 m). L'angle formé par une longueur de 60 pieds vue à une distance de 15 miles est donnée par une formule simple, explique Maccabee (je remercie Joël Mesnard d'avoir fait lui même, à ma demande, le calcul sur une table de restaurant parisien !). La formule consiste à assimiler la longueur de l'objet à un petit arc de cercle, ce qui simplifie le calcul. Elle donne, appliquée en pieds (1 mile = 5280 pieds) :
60/(15x5280) = 0,00076 radian, soit environ 2,6 minutes d'arc (1 degré = 60 minutes = 0,0174 radian). Or l'acuité visuelle admise en laboratoire pour un bon sujet est d'environ 1 minute d'arc. J'ai vérifié cela en consultant l'Encyclopédie médico-chirurgicale, Ophtalmologie volume 1, de J.-P. Menu et CH. Corbe. Dans certaines conditions, l'acuité peut même être bien plus grande. Selon Helmotz, elle est fortement accrue dans certaines conditions :« un trait noir sur fond blanc, quelle que soit sa longueur, est perçu à partir d'une dimension angulaire d'une demi-seconde d'arc ».
On voit donc que, vraisemblablement, Arnold avait pu distinguer le DC-4 à cette distance supposée d'environ 15 miles.
Il est également plausible que Arnold ait vu ces ovnis passant dans les parages du mont Rainier, à environ 20 miles (32 km), avec une dimension angulaire équivalente. Si l'hypothèse de distance de 20 miles est la bonne, on peut même en déduire leur longueur. Maccabee propose de faire le même calcul pour cette distance et avec le même angle de 0,00076 radian. Le calcul donne : (20x5280)x0,00075 = 80 pieds, soit environ 24 m de longueur pour les ovnis.

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Mise à jour (mai 2009) : autre opinion.
Plusieurs lecteurs de l'article et de cette discussion doutent qu'Arnold ait pu distinguer, non seulement le DC-4, mais ses quatre moteurs à une aussi grande distance. J'avoue que, en écoutant leurs arguments, cela me paraît maintenant improbable, à moi aussi. On peut donc penser que l'avion était plus près de lui qu'il ne l'avait supposé. Si c'est bien le cas, sa comparaison avec la taille des ovnis ne tient plus non plus. Ce qui laisse ouverte la possibilité que les ovnis étaient plus grands qu'il l'avait supposé.
A ce sujet, rappelons-nous l'observation du prospecteur Fred Johnson, qui se trouvait dans la région près du mont Adams, et avait vu passer les ovnis au dessus de lui. Il avait estimé qu'ils volaient à environ 1 000 m d'altitude, et avaient un diamètre d'environ 10 m. Cependant, comme il n'avait pas de point de comparaison, il a pu se tromper lui aussi, d'autant qu'il les avait vu voler très vite, comme Arnold, un facteur qui pouvait l'inciter à les croire plus près qu'ils n'étaient en réalité. Peut-être les ovnis étaient-ils plus haut, et donc plus grands. Nous ne le saurons jamais. On peut craindre un biais psychologique inconscient chez les deux témoins, qui ont pu minorer la taille des ovnis, tellement leur observation leur paraissait déjà incroyable...

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Disons maintenant un mot sur l'explication par les pélicans, qui a été mise en avant depuis quelque temps par le Britannique très sceptique James Easton. Celui-ci a prétendu qu'Arnold avait vu passer devant lui un vol de pélicans sauvages. Un débat fleuve s'est déroulé sur internet à ce sujet (sur le forum « UFO Updates »), au cours duquel de nombreux arguments, formulés encore une fois par Maccabee mais aussi par d'autres chercheurs, ont permis d'écarter totalement cette hypothèse. Au point que l'on plaisante volontiers maintenant sur ce qu'on appelle l'ufologie « pélicaniste » chaque fois que surgit une explication particulièrement tirée par les cheveux. Pour ceux que cela intéresse, on peut lire tout ce débat sur les archives de la liste UFO Updates (http://www.virtuallystrange.net/ufo/updates).

Je cite juste deux arguments à l'encontre de cette théorie des pélicans. Pour mieux voir les ovnis, Arnold avait viré à 90 degrés de manière à être parallèle à leur course. Or les ovnis l'avaient rapidement distancé. Selon Maccabee, son avion volait à 100 mph (160 km/h). On n'a jamais vu des pélicans, même à tire d'aile, voler aussi vite ! Un autre argument très simple est que, dès le départ, Arnold avait été surpris par un éclair lumineux qui avait attiré son attention sur les ovnis. Il avait compris que c'était la lumière du soleil qui lui était renvoyée par leur surface très polie, alors qu'ils se déplaçaient en ondulant. Impossible avec des pélicans : ils ne peuvent réfléchir la lumière comme des miroirs.

(Note : En me relisant, je vois un argument simple à ajouter : Arnold avait vu les ovnis disparaître derrière une chaîne de montagnes située entre lui et le mont Rainier (on les voit sur mes photos illustrant l’article), d’où la distance de 32 à 35 km estimée par Bruce Maccabee, excluant évidemment les pélicans !)