samedi 24 mai 2008

La vague de 1947

La vague de 1947 confirmée par des documents militaires américains

Un premier document secret, dès le 30 juillet 1947

Un premier document militaire sur les ovnis apparaît dès le 30 juillet 1947, alors qu'une vague d'observations a débuté en juin, avec notamment l'observation - qui allait devenir célèbre par la suite - de kenneth Arnold, le 24 juin, devant le Mont Rainier. Ce document secret, qui émane des services techniques de l'armée de l'Air, à la base de Wright, affirme déjà la réalité des «disques volants», tout en s'interrogeant sur leur nature. Les experts de l'armée de l'Air tirent les conclusions suivantes, sur dix-huit cas d'observations étudiés :

a) Les « soucoupes volantes » ne sont pas du tout imaginaires ; elles ne s'expliquent pas par des phénomènes naturels mal interprétés. Quelque chose vole réellement ;

b) l'absence de demandes d'information de la part de la haute hiérarchie donne du poids à l'idée qu'il s'agit d'un projet secret, dont le président et son entourage connaissent l'existence ;

c) quelle que soit la nature de ces objets, voici ce que l'on peut dire de leur apparence physique :

1. Ces objets présentent une surface métallique ;

2. Lorsqu'une traînée est observée, elle est légère­ment colorée, d'une teinte bleu-brun, semblable aux gaz d'échappement d'un moteur de fusée ;

3. Ces objets sont de forme circulaire, ou tout au moins elliptique, plats en dessous et légèrement bombés sur le dessus. Leur dimension est intermédiaire entre la taille d'un C-54 et celle d'un Constellation [deux quadrimoteurs à pistons] ;

4. Certains rapports décrivent deux appendices, situés à l'arrière et symétriques par rapport à l'axe de vol.

5. De trois à neuf objets ont été signalés, volant en formation, à des vitesses toujours supérieures à 300 nouds (500 km/h).

6. Ces disques oscillent latéralement lorsqu'ils volent en formation, comme en ondulant.

Foo fighters, « fusées fantômes » en 1946, et affaire de Roswell

Nous savons aujourd'hui qu'aucun appareil d'origine militaire ne possédait de telles caractéristiques, ce que n'ignoraient pas les autorités du Pentagone. En revanche, ce constat est tout à fait compatible avec l'hypothèse de la découverte ultra secrète de l'ovni de Roswell ! Notons cette remarque curieuse, dans ce document du 30 juillet, que l'état-major fait silence, en plein au milieu de la vague de juin-juillet. Un tel comportement est en effet compatible avec la découverte d'une soucoupe accidentée, qui aurait été aussitôt couverte par le secret le plus strict.

On sait que l'état-major américain s'était intéressé de près à des phénomènes aériens antérieurs à 1947, aussi bien les fameux foo fighters, ces boules lumineuses qui escortaient les avions américains au-dessus de l'Allemagne pendant la guerre, que les « fusées fantômes » observées en 1946 dans le ciel de Finlande et de Suède. On peut citer aussi l'étonnant raid aérien en 1942 au dessus de Los Angeles. Les « fusées fantômes » avaient l'apparence d'engins sans ailes mais volant comme des avions, à ceci près qu'elles n'émettaient aucun bruit. Ces «fusées » conservaient une altitude constante quel que soit le relief - performance que les missiles de croisière réaliseront beaucoup plus tard grâce à la mémorisation informatisée du terrain. Un comité avait été réuni le 15 juillet 1946, en pleine vague d'obser­vations (deux cents rapports avaient été établis pour la seule journée du 9 juillet), par le ministère de la Défense suédois, en présence de militaires et de scientifiques. Deux jours seulement après cette première réunion, James Forrestal, le ministre américain de la Marine, s'était rendu au ministère de la Guerre suédois. Le soir du 11 août, trois cents observations avaient été signalées dans la région de Stockholm. Le lendemain, le New York Times révélait que le général Jimmy Doolittle, aviateur célèbre et homme de confiance du Pentagone, chargé d'enquêter sur les foo fighters, était invité par les Suédois en tant qu'expert. Le vrai motif de sa visite fut officiellement démenti, mais, dès le lendemain de son arrivée en Suède, les informations sur ces mystérieuses observations commencèrent à être censurées. Le gouvernement suédois a fini par ouvrir ses archives en 1984. Elles ont révélé que plus de mille cinq cents observations de « fusées fantômes » avaient été recueillies en quelques mois, trente-huit ans plus tôt. Aucune explication n'a été fournie.

23 septembre 1947 : La lettre secrète du général Twining

Dès septembre 1947, la réalité des ovnis est affirmée de manière claire et détaillée par le général Nathan Twining, responsable des services techniques de l'armée de l'Air, dans une lettre secrète à l'état-major du Pentagone.

Le général Nathan Twining

Paradoxalement, ce document figure en annexe du fameux "Rapport Condon", rendu public en 1969 à l'issue de l'étude officielle réalisée par l'université du Colorado sous la direction de l'éminent physicien Edward Condon. Celui-ci nie dans son introduction l'existence des ovnis, mais en fait cet épais rapport de 967 pages contient un bon nombre de cas non identifiés. On sait que de fortes dissensions ont vu le jour au sein de cette équipe : l'adjoint de Condon, David Saunders, a ainsi publié un livre dans lequel il révélait que les conclusions de l'enquête avaient été imposées à l'avance. Or la lettre du général Twining reconnaît dès 1947 la réalité des ovnis !

Capitale pour la compréhension de l'histoire des ovnis, la lettre que le général Twining, commandant de la Direction du matériel aérien à Dayton, dans l'Ohio, adresse au général George Schulgen, adjoint du général McDonald, chef des services de renseignement au Quartier général de l'armée de l'Air à Washington, est datée du 23 septembre 1947. Elle comprend deux parties. La première consiste en une description remarquablement claire des « disques volants » observés par de nombreux témoins, parmi lesquels des pilotes de l'armée de l'Air ; la seconde propose des hypothèses plutôt contradictoires, en même temps qu'elle révèle une certaine anxiété du signataire vis-à-vis des phénomènes en question. Après avoir énuméré en préambule les nombreux services tech­niques ayant participé à cette étude, la lettre se poursuit ainsi, reprenant d'ailleurs le document, déjà cité, du 30 juillet :

a) Le phénomène rapporté est quelque chose de réel, qui n'est ni visionnaire ni fictif ;

b) ces objets, ayant probablement la forme d'un disque, sont de dimensions comparables à celles d'un avion de conception humaine;

c) il est possible que certains incidents soient causés par des phénomènes naturels, tels des météores ;

d) les caractéristiques rapportées, telles la vitesse ascensionnelle très élevée, la manoeuvrabilité (particulièrement en tonneau), ainsi que certaines manoeuvres d'évasion lorsque ces objets sont repérés par nos avions ou nos radars, évoquent la possibilité que certains de ces objets sont contrôlés soit manuellement, soit auto­matiquement ou à distance ;

e) la description faite communément de ces objets est la suivante :

1. Surface métallique ou réfléchissant la lumière

2. Absence de traînée, sauf dans quelques cas rares où l'objet semblait opérer dans des conditions de hautes performances

3. Forme circulaire ou elliptique, avec un fond plat et un dôme sur le dessus

4. Selon plusieurs rapports, vols en formation bien tenue, réunissant de trois à neuf objets

5. Habituellement, aucun son n'est décelable, sauf dans trois cas où un grondement puissant a été noté.

6. Des vitesses de vol courantes à l'horizontale ont été estimées à plus de 300 nceuds (environ 500 km/h).

Après cette description des mystérieux « disques volants », le général Twining esquisse diverses tentatives d'explication. Il suppose d'abord qu'il serait possible, dans l'avenir, de construire des appareils de ce type, mais que cela serait extrêmement coûteux :

J) il serait possible, dans le cadre des connaissances actuelles aux États-Unis - à condition que d'importantes études de développement soient entreprises -, de construire un avion ayant l'aspect général de l'objet décrit ci-dessus. Il pourrait avoir un rayon d'action d'environ 7 000 miles (soit 11 000 kilomètres), à des vitesses subsoniques ;

g) tout projet de ce genre se révélerait extrêmement coûteux, demanderait énormément de temps et ne pourrait être développé qu'aux dépens d'autres projets en cours. Il devrait donc, s'il était décidé, être mis en place indépendamment des projets existants.

Le général Twining poursuit en émettant des hypo­thèses qui paraissent contredire, curieusement, ce qui précède :

h) Il convient de prendre en considération les points suivants :

1. La possibilité que ces objets soient d'origine domestique - le produit d'un projet inconnu de l'AC/AS- (note : sigle désignant le général McDonald, supérieur hiérarchique direct du général Schulgen et chef du Renseignement de l'armée de l'Air) ou de cette Direction (l'Air Matériel Command).

2. L'absence de preuve physique sous la forme de produits récupérés d'un crash qui prouveraient de manière formelle l'existence de ces objets.

3. La possibilité que certains pays étrangers aient expérimenté une forme de propulsion, peut-être nucléaire, dont nous n'avons pas connaissance.

Est-il besoin de souligner à quel point ce paragraphe h est en contradiction totale avec le paragraphe précédent? Cette partie de la lettre de Twining crée un malaise et donne déjà l'impression, à ce moment, de ne pas dire toute la vérité. La fin de la lettre du général Twining doit être lue avec la plus grande attention car elle est également très insolite :

Il est recommandé que :

a) le Quartier général des forces aériennes émette une directive assignant une priorité, une classification secrète et un nom de code pour une étude détaillée de cette question, pour préparer des dossiers complets de toutes les données disponibles et pertinentes, qui seront adressés à l'Armée, à la Marine, à la Commission de l'énergie atomique, au JRDB (Joint Research and Development Board : le plus haut organisme scientifique militaire), au Groupe de conseil scientifique de l'armée de l'Air, au NACA (National Advisory Committee for Aeronautics : organisme précurseur de la NASA, chargé d'études avancées en aéronautique), et les projets RAND et NEPA (Nuclear Energy for Propulsion Applications, à Oak Ridge), pour commentaires et recommandations, avec rapport préliminaire à adresser dans les quinze jours suivant la réception des dossiers, et par la suite un rapport détaillé tous les trente jours à mesure que l'enquête progressera. Un échange complet des données devrait être effectué.

Que signifie ce paragraphe, sinon qu'il y a urgence, et que les ovnis suscitent en fait beaucoup d'inquiétude chez les militaires?

Les sceptiques n'ont pas manqué de souligner que le général Twining affirme ne pas disposer de débris d'ovni accidenté. Il ne se serait donc rien passé à Roswell ! Cet argument est de peu de poids. Si le crash a bien eu lieu, Le secret le plus absolu a dû être décidé dès juillet sur cette affaire. Le général Twining ne peut donc en faire mention dans un document destiné à circuler bien au-delà du Quartier général. En revanche, sa lettre a manifestement pour but de provoquer une large mobilisation pour la collecte d'informations, et aussi, sans doute, d'apporter un début de réponse à tous ceux qui, notamment parmi les militaires, sont informés de ces apparitions d'ovnis et s'en inquiètent. Une telle démarche n'est nullement incompatible avec certaines opérations beaucoup plus secrètes.

1948 : La commission d'enquête « Sign » et son rapport top-secret

La lettre du général Twining ne tarde pas à être suivie d'effets. Peu après, l'état-major met en place, au sein de la Direction du matériel aérien (Air Matériel Command, AMC) du général Twining, au Centre technique du Ren­seignement aérien (Air Technical Intelligence Center, ATIC), sur la base de Wright-Patterson, près de Dayton (Ohio), une commission d'enquête baptisée « Sign », qui va travailler activement, au cours des mois suivants, à étudier les nouvelles observations d'ovnis. Les membres de cette commission vont rapidement se convaincre, non seulement de la réalité des ovnis, mais de leur nature extraterrestre. Au point qu'ils vont rédiger un rapport classé top-secret. Remis à la hiérarchie militaire à la fin de septembre 1948, il est intitulé « Estimation de la situation » (Estimate of the Situation).

Aujourd'hui encore, pour l'armée de l'Air, le rapport de la commission Sign n'existe pas, alors que même un sceptique tel que Philip Klass en a reconnu l'existence. Celle-ci a été révélée en 1956 par le capitaine Edward Ruppelt, lui-même responsable, de 1951 à 1953, de la commission d'enquête de l'armée de l'Air, alors nommée « Livre bleu » (Blue Book). Après avoir quitté ce service, Ruppelt publie en 1956 un livre exprimant son opinion personnelle, favo­rable à la réalité des ovnis, The Report on Unidentified Flying Objects (version française : Face aux soucoupes volantes, Editions France-Empire 1958.

Le livre du capitaine Edward Ruppelt

Ingénieur de profession, Ruppelt a été mobilisé à l'époque de la guerre de Corée et est devenu un brillant officier. Dans son livre, Ruppelt évoque l'état d'esprit des enquêteurs à l'époque. L'année 1948 a été fertile en observations, dont l'une a vu la mort du capitaine Mantell, lancé à la poursuite d'un ovni à bord d'un chasseur Mustang. Après un an d'enquête, l'explication officielle avance que Mantell a vu soit la planète Vénus, soit un ballon, et qu'il est monté jusqu'à 6 000 mètres d'altitude sans oxygène. Une explication jugée plus que douteuse par Ruppelt, qui rappelle que tous les pilotes apprennent à ne jamais dépasser 5 000 mètres sans oxygène - or Mantell avait la réputation d'être un pilote très prudent. Ruppelt cite le témoignage d'un ami de Mantell qui a volé plusieurs années avec lui: « La seule explication, c'est qu'il poursuivait un objectif qui lui paraissait plus important que sa propre vie ou que sa famille ». Signalons que l'explication « officielle » a été admise par nombre d'ufologues, mais il y a toujours des raisons de penser qu'il avait bien été confronté à un ovni.

Ce cas dramatique est suivi de nombreuses autres observations, étudiées par la commission Sign. L'une d'elles décide l'équipe à rédiger sans délai son rapport. Il s'agit de l'observation due à deux pilotes de ligne, Clarence S. Chiles et John B. Whitted, à bord de leur DC-3 de la Eastern Airlines, le 24 juillet 1948, lors d'un vol de Houston à Atlanta. A 2 h 45 du matin, près de la ville de Montgomery, le capitaine Chiles voit sou­dain, droit devant, une lumière qui se rapproche rapidement. Sa première intuition, comme il le rapportera plus tard à une équipe d'enquête de l'ATIC, est qu'il s'agit d'un avion à réaction, mais il se rend compte aussitôt que même un jet ne pourrait se rapprocher aussi vite. Chiles se tourne alors vers Whitted et lui montre l'engin du doigt. L'ovni se trouve presque au-dessus d'eux. Chiles fait tourner brutalement le DC-3 vers la gauche. Au moment où l'ovni passe à environ 700 pieds (250 mètres) sur leur droite, le DC-3 est pris dans une turbulence. Whitted regarde en arrière juste au moment où l'ovni se met à grimper. Les deux pilotes, qui ont le temps de distinguer la silhouette de l'ovni, pourront en faire une description assez précise aux enquêteurs de l'armée de l'Air. Son fuselage était de la taille d'un B-29. Le dessous était éclairé d'une lueur bleu foncé. Deux rangées de fenêtres étaient brillamment éclairées et une traînée lumineuse ou une flamme rouge-orange de 50 pieds (15 mètres) était projetée à l'arrière. Notons ici que ce qu'ils ont décrit comme des fenêtre éclairées n'en étaient peut-être pas du tout.

Ruppelt rapporte que cette observation a secoué les « anciens » de l'ATIC plus encore que l'accident de Mantell, et a décidé l'équipe Sign à rédiger sans tarder un rapport :

« Dans le Renseignement, écrit Ruppelt, si vous avez quelque chose à dire sur un problème vital, vous écrivez un rapport intitulé Estimation de la situation. Or, quelques jours après que le DC-3 eut été frôlé par le mystérieux appareil, les membres de l'ATIC décidèrent qu'il était temps de procéder à une «Estimation de la situation ». La situation, c'était la présence d'ovnis; l'estimation, c'était qu'ils étaient interplanétaires ! »

Selon le capitaine Ruppelt, le rapport de la commission Sign est un document assez épais sous couverture noire, barrée par la mention « TOP-SECRET ». Il est constitué de l'analyse de nombreux incidents. Tous proviennent de scientifiques, de pilotes ou de témoins crédibles. Il est précisé que si l'observation de Kenneth Arnold est la première à avoir été largement médiatisée, elle n'est pas la première du genre. Le rapport mentionne notamment l'observation d'un « disque argenté » par un météorologue de Richmond, en Virginie, au moyen d'un théodolite, ainsi que l'observation d'une « aile volante argentée » par plusieurs pilotes de chasse volant en formation, et d'« avions fantômes » repérés par radar en Grande-Bretagne au début de 1947. Toujours selon Ruppelt, « lorsque le rapport fut terminé, tapé et approuvé, il commença à gravir les échelons de la hiérarchie jusqu'au haut-commandement. Il suscita beaucoup de commentaires, mais personne ne l'arrêta sur son chemin. »

Dans un passage de son manuscrit longtemps resté inédit, Ruppelt complète son analyse de l' « Estimate of the Situation » :

"Le rapport concluait que les ovnis étaient des engins interplanétaires. De nombreuses observations inexpli­quées étaient citées à l'appui de cette thèse. Celle de Kenneth Arnold;

la série d'observations provenant de la base de Muroc, centre secret d'essais en vol de l'armée de l Air ; l'observation de sphères volant en for­mation près du lac Mead par un pilote de F-51 (chasseur Mustang); le rapport d'un pilote de F-80 (chasseur à réaction Shooting Star) qui vit deux objets ronds plon­ger vers le sol près du Grand Canyon ; enfin, le rapport du pilote d'un avion d'entraînement T-6 de la Garde nationale, qui observa dans l'Idaho les manoeuvres d'un objet noir.

Le rapport citait aussi un entretien avec un commandant de l'armée de l'Air de la base de Rapid City (aujourd'hui base d'Ellsworth) qui vit douze ovnis en formation serrée en forme de diamant. Lorsqu'il les aperçut, ils étaient très haut, mais ils s'engagèrent bientôt dans un fantastique piqué à grande vitesse, puis se rétablirent, effectuèrent un virage en formation parfaite et grimpèrent sous un angle de 30 à 40 degrés, tout en accélérant. Les ovnis étaient de forme ovale et brillaient d'une couleur jaune-blanc. »

Les autorités refusent d'hypothèse extraterrestre

Qu'est-il advenu du rapport de la commission Sign ? Edward Ruppelt a révélé le destin de cet exceptionnel document :

« Il parvint jusqu'au général Hoyt S. Vandenberg, alors chef d'état-major, qui le rejeta. Le général ne voulait pas entendre parler de véhicules interplanétaires. Le rapport manquait de preuves. Une délégation de l'ATIC se rendit au Pentagone pour soutenir ses positions, mais le général ne se laissa pas convaincre. L' Estimate fut déclassifié quelques mois plus tard et envoyé à l'incinérateur. Quelques exemplaires furent conservés comme souvenir de l'âge d'or des ovnis.

Le général Hoyt Vandenberg

Ce n'est en effet que quelques années plus tard que Ruppelt peut prendre connaissance de ce rapport top secret, lorsqu'il devient responsable de la commission «Livre bleu», grâce à un officier de la base de Wright-Patterson qui en a gardé un exemplaire dans son coffre et le lui montre confidentiellement.

Peu de temps après le refus brutal du rapport de la commission Sign, une lettre datée du 3 novembre 1948, classée secrète, est signée par le chef du Renseignement de l'AMC à Wright-Patterson, le colonel Howard McCoy. Intitulée « Flying Objects Incidents in the United States », cette lettre de trois pages, écrite à la demande du Penta­gone, s'aligne sur la position que vient de prendre le général Vandenberg :

[...] La possibilité que les objets observés soient des véhicules venus d'une autre planète n'a pas été écartée. Cependant, les preuves manquent totalement pour soutenir cette hypothèse. Il apparaît que des phénomènes semblables ont été notés et rapportés depuis un siècle ou plus. [. ..]

Notons au passage le curieux raisonnement implicite de la dernière phrase : le fait que l'on observe de tels phénomènes depuis un siècle ou plus, loin de troubler l'auteur du texte, semble le conforter dans l'idée qu'il s'agit là de purs fantasmes. La lettre de McCoy, prenant de manière évidente le contre-pied du rapport Sign, conclut :

« Bien qu'il soit évident que certains objets volants ont été vus, la nature exacte de ces objets ne peut être établie tant que des preuves physiques, telles celles qui résulteraient d'un crash, n'ont pas été obtenues... »

Ce texte est aujourd'hui mis en avant par les sceptiques qui rejettent l'hypothèse du crash de Roswell. Ils affir­ment que, s'il y avait eu réellement un crash d'ovni à Roswell, dont les débris auraient été étudiés par les services techniques de l'armée de l'Air à la base de Wright-Patterson, le colonel McCoy en aurait certainement été informé. Que vaut cette critique ? On peut faire remarquer , comme pour la lettre du général Twining, que si McCoy était « dans le coup » de Roswell, il ne l'aurait sûrement pas révélé dans une lettre de ce genre, classée seulement secrète. D'ailleurs, ce n'est même pas lui qui l'a écrite, mais l'un des membres de l'équipe Sign ! Le professeur Michael Swords, l'un des meilleurs ufologues américains, a fait une analyse remarquable de cette question délicate. Selon lui, il n'est même pas certain que McCoy ait été informé du crash de Roswell, étant donné le niveau de secret très élevé de cette affaire.

Décembre 1948: l'état-major rédige son propre rapport

Il faut croire que le rapport du colonel McCoy paraît un peu léger, comparé à l'inquiétude manifestée dans le rapport Sign : le mois suivant, un rapport plus copieux est en effet signé par l'état-major au Pentagone, recon­naissant cette fois la réalité des ovnis, mais supposant qu'il s'agit, soit d'un engin américain, soit d'un avion secret soviétique à hautes performances survolant les États-Unis.

L'Air Intelligence Report (« Rapport du Renseignement de l'armée de l'Air»), intitulé « Analyse des incidents d'objets volants aux États-Unis » (« Analysis of Flying Objects Incidents in the US »), daté du 10 décembre 1948, est l'un des rares documents classés à l'origine top ­secret qui ont été divulgués à la faveur de la loi FOIA.

Il commence par reconnaître la réalité des observations :

« La fréquence des incidents rapportés, la similitude de bien des caractéristiques attribuées aux objets observés et la qualité des observateurs permettent d'établir qu'un certain type d'objet volant a été observé. Environ deux cent dix incidents ont été rapportés. Parmi les observateurs signalant ces incidents figurent des personnels entraînés et expérimentés de la Météorologie nationale (US WeatherBureau), des officiers confirmés de l'armée de l'Air, des pilotes civils expérimentés, des techniciens associés à divers projets de recherche, ainsi que des techniciens des lignes aériennes commerciales. »

Le rapport écarte ensuite l'idée que ces observations ont pu être conditionnées par des incidents antérieurs tels que les phénomènes non identifiés observés en Scandinavie en 1946 (les fameuses « fusées fantômes ») : la précision des témoignages - notamment celui du Bureau de météorologie de Richmond qui, à trois reprises, a observé au théodolite d'étranges disques métalliques lors de repérage de ballons météo - exclut en effet cette hypothèse.

Parmi les cas présentés en annexe (« Appendix C»), et en quelque sorte authentifiés par l'état-major, on trouve des observations aussi remarquables que celles-ci :

- Le 28 juin 1947, alors qu'il volait à 10 000 pieds [3 000 mètres] d'altitude, à 30 miles [48 kilomètres] au nord-ouest du lac Mead, dans le Nevada, un lieutenant de l'armée de l'Air a vu cinq ou six objets circulaires en formation serrée, volant à une vitesse estimée à 285 mph [450 km/h).

-Le jour suivant, trois témoins, dont deux scienti­fiques, roulaient sur la route 17 vers White Sands, Nouveau-Mexique, où sont tirées les fusées V-2. Ils disent avoir vu un grand disque ou une sphère se déplaçant horizontalement à grande vitesse à une altitude estimée à 10 000 pieds (3 000 mètres). Sa forme était régu­lière, sans appendices apparents tels que des ailes. L'objet a été observé pendant environ soixante secondes avant de disparaître vers le nord-est. Les trois observa­teurs sont d'accord, hormis sur un détail: l'un d'eux pense avoir vu une traînée de vapeur.

- Le 7 juillet, cinq policiers de Portland, dans l'Oregon, ont vu plusieurs disques volant au-dessus de différents quartiers de la ville. Toutes les observations ont été faites vers 13 h 05.

- Le même jour, X (nom effacé), de Phoenix, dans l'Arizona, dit avoir aperçu un disque tournant au­ dessus de la ville au coucher du soleil. Il en a pris deux photographies (reproduites dans le rapport). Celles-ci montrent un objet en forme de disque, arrondi à l'avant, avec une queue plate à l'arrière. Ces photos ont été examinées par des experts qui affirment que les défauts de l'émulsion ou de l'objectif ne sont pas en cause.

Photo d'un ovni à Phoenix le 7 juillet 1947

Voici un autre cas intéressant cité dans ce rapport top secret du Pentagone, qui donne une fois de plus l'impression d'une parade ostentatoire des ovnis :

Le 17 juillet 1948, un rapport de la base aérienne de Kirtland décrit une observation près de San Acacia, au Nouveau-Mexique, de sept objets volants non identifiés volant en formation en « J» à une altitude estimée à 20 000 pieds [environ 7 000 mètres]. La formation s'est transformée en « L», puis en cercle après être passée au zénith. Des flashes ont été observés, émanant des objets alors qu'ils passaient à 30 degrés au-delà du zénith. Il n'y avait ni fumée ni traînée de vapeur. Si l'estimation de l'altitude est correcte, la vitesse devait être d'environ 1 500 miles par heure [environ 2 400 km/h].

Pour faire justice à l'hypothèse d'engins américains ou soviétiques, il n'est pas inutile de rappeler l'avancée des recherches aéronautiques à l'époque. La vitesse du son est dépassée pour la première fois par un avion piloté en octobre 1947. Le Bell X-1, un petit avion-fusée largué par un bombardier B-29, n'a qu'une autonomie de vol très courte. Les fusées V-2 ou Aerobee, tirées de White Sands, ne peuvent quant à elles aller très loin non plus ni sur­tout voler à l'horizontale...

Un cas célèbre et curieux se trouve confirmé par le rapport, celui du pilote Gorman :

Le 1er octobre 1948 à environ 20 h 30, le pilote d'un avion F-51, le lieutenant George F. Gorman (Garde nationale du Dakota du Nord), volant près de Fargo, a repéré une lumière blanche intermittente à environ 3 000 pieds [1000 mètres] au-dessous de lui, alors qu'il volait à 4 500 pieds (1 500 mètres). Le pilote a poursuivi cette lumière qui s'est alors engagée dans des manoeuvres d'esquive. L'objet lumineux a dépassé le F-51 en virage, en vitesse et en ascension à chaque instant de la tentative d'interception. Le pilote a perdu le contact au bout de vingt-sept minutes. La même lumière a été observée par d'autres témoins au sol : M. X (nom effacé), contrôleur de trafic aérien, M. Y (nom effacé), assistant contrôleur de trafic aérien, et le docteur Z (nom effacé), oculiste. Une comparaison de tous les témoignages a confirmé qu'un objet a bien été vu et qu'il s'agissait d'une petite boule ronde de lumière blanche, sans appendice apparent. Elle devait mesurer environ 6 à 8 pouces (15 à 20 cm) de diamètre...

Le rapport de l'état-major distingue trois types d'objets observés : les premiers en forme de disque, d'autres en forme de cigare, et les boules de feu (observées de nuit), mais il suppose qu'il pourrait s'agir d'un seul et même phénomène vu sous différents angles. Puis il envisage la possibilité de confusions avec des ballons, des fusées ou des avions expérimentaux en forme d'aile volante, américains ou étrangers. Divers modèles d'avions expérimentaux américains de type «aile volante » sont ensuite cités comme causes possibles de méprise. L'hypothèse originale du rapport est formulée: celle d'une aile volante soviétique qui aurait été développée à partir d'un modèle allemand de pla­neur datant de la fin de la Seconde Guerre mondiale, le Horten XIII. Les services de renseignement croient même savoir qu'il serait envisagé de construire cet engin à mille huit cents exemplaires ! Le rapport cite une information selon laquelle existerait déjà une escadrille de chasseurs de nuit de ce type, basée près d'Irkoutsk.

Nous savons aujourd'hui que ces informations étaient sans fondement. Même si les Soviétiques avaient possédé un tel engin - prototype révolutionnaire qui aurait néces­sité une mise au point délicate, comportant de gros risques d'accident -, ils n'auraient certainement pas songé à le faire parader de la sorte en territoire hostile. Cette partie du rapport est donc invraisemblable.

En réalité, les auteurs de cette hypothèse n'ignoraient certainement pas à quel point elle était ridicule. D'abord, on voit mal comment, en à peine plus d'un an, les ingé­nieurs soviétiques auraient pu développer, à partir d'un modèle expérimental, simple avion en bois (le Horten allemand, saisi à la fin de la guerre), ces mystérieux disques, cigares et boules de feu traversant le ciel américain à une vitesse fulgurante. Les responsables du Renseignement militaire aérien savaient certainement, en revanche, que les Soviétiques s'évertuaient à réaliser une copie exacte du bombardier B-29, dont ils s'étaient approprié trois exemplaires échoués en Sibérie à la fin de la guerre, à la suite d'un raid sur le Japon - fait que l'armée de l'Air américaine ne pouvait ignorer ! La copie soviétique du B-29 fit son premier vol en avril 1948, et la production commença en 1949, sous le nom de Tupolev Tu-4. Les Soviétiques, pas plus que les Américains, n'étaient capables de construire des soucoupes volantes aux performances inouïes.

Par ailleurs, ce document comporte une étrange lacune : l'idée qu'il pourrait s'agir d'engins extraterrestres n'est même pas mentionnée, alors que la commission Sign vient de remettre un gros rapport soutenant cette thèse. C'est la raison pour laquelle Michel Meurger, un auteur sceptique sur l'existence même des ovnis, cite le rapport du 10 décembre 1948 à l'appui de la thèse selon laquelle les soucoupes volantes ont été « inventées » à l'époque où les hommes commençaient à se tourner vers l'espace, alors que la vague de « soucoupes imaginaires » plongeait les militaires dans la perplexité. Or ce rapport consolide en fait une série d'observations parfaitement convaincantes - raison pour laquelle il a été classé top secret.

L'« aile volante soviétique » ne tarda pas à apparaître pour ce qu'elle était : une invraisemblable fiction. En août 1950, la déclassification, puis la destruction du rapport de l'état-major sont décidées. Dès lors que la thèse de l'aile volante perd sa crédibilité, la question de la nature des ovnis, dont l'existence est admise par le rapport, retrouve entièrement son caractère mystérieux, et ce document devient très embarrassant au moment même où se met en place la «ligne dure», niant l'existence même des visiteurs de l'espace...

Le 11 février 1949, l'équipe Sign est dissoute et remplacée par une nouvelle commission, le « Project Grudge » (littéralement, « Projet Rancoeur »), qui prend le contrepied de l'équipe précédente et s'emploie à évacuer ces embarrassantes observations. En 1951, le capitaine Ruppelt va ranimer la flamme avec une équipe renommée « Livre Bleu », mais il va se heurter à son tour à l'hostilité de la hiérarchie et renoncera à ce travail d'enquête, en 1952, et la commission ne sera plus guère qu'une façade. Nous savons aujourd'hui que les vraies enquêtes ont été poursuivies ailleurs.