lundi 20 février 2006

Un entretien entre Jacques Vallée et Marie-Thérèse de Brosses

Résumé avec quelques commentaires, par Gildas Bourdais

C’est à l’occasion de la parution, en janvier, du nouveau livre de Jacques Vallée, un roman intitulé Stratagème (Editions de l’Archipel), qu’a été réalisé cet entretien, à la radio Ici et maintenant, entre Jacques Vallée et Marie-Thérèse de Brosses, une amie de longue date de l’auteur. C’est un long entretien de deux heures et demie, difficile à résumer brièvement, et je vais donc me limiter à en faire ressortir quelques aspects, avec mes commentaires, à l’attention de celles et ceux qui n’ont pas pu l’écouter. Il faut noter tout de suite que le roman en question n’a été abordé qu’à la fin de l’émission. Ainsi, l’entretien a consisté surtout en une revue de la longue carrière ufologique de Jacques Vallée, de ses livres et de ses idées. Après une présentation initiale de l’auteur, qualifié par Marie-Thérèse de Brosses de « plus célèbre ufologue », après avoir écrit une série de livres qui ont eu un large succès (les plus connus sont la trilogie Autres dimensions, Confrontations, et Révélations, parus en français en 1989, 1991 et 1992), elle rappelle qu’il s’est retiré du débat ufologique depuis au moins une dizaine d’années, étant en désaccord profond avec les nouvelles orientations de l’ufologie américaine, telles que les enquêtes sur Roswell et les enlèvements. Le « mémo de Pentacle » Jacques Vallée a voulu parler, en premier lieu, d’une affaire qui lui tient visiblement à cœur, encore aujourd’hui, et qu’il a baptisée le « Mémorandum de Pentacle ». Il en a parlé notamment dans son livre de mémoires, Forbidden Science (1992. v.f. : Science interdite). Sous ce nom curieux, il s’agit en fait d’une lettre de l’institut Battelle, signée par l’ingénieur Howard Cross, adressée à la commission « Blue Book » (« Livre Bleu ») de l’armée de l’Air au début de 1953. Réglons tout de suite un point de controverse. Vallée, dans cet entretien, affirme que cette lettre était adressée à la CIA, et y voit une première indication d’implication de l’institut dans des manœuvres secrètes. En fait, la lettre était adressée à un responsable des services techniques (l’ATIC) de l’armée de l’Air, sur la base de la base de Wright-Patterson, à l’attention du capitaine Edward Ruppelt, responsable de la commission d’enquête « Blue Book » ( « Livre Bleu ») sur les ovnis : « M. Miles E. Goll Box 9575 Wright-Patterson Air Force Base, Ohio A l'attention du capitaine Edward J. Ruppelt » Cette erreur de Vallée est curieuse car il ne l’avait pas faite dans son livre Science interdite. Cela dit, Vallée raconte qu’il a découvert une copie de cette lettre en rangeant les papiers de son « patron », l’astronome Allan Hynek, conseiller scientifique de la commission Blue Book. Vallée a redit qu’il avait été très choqué par cette lettre qui, selon lui, révélait une face cachée de l’ufologie américaine, à savoir des manœuvres pour cacher la vérité sur les ovnis au public, et même à la commission scientifique qui allait être réunie peu après à Washington, en janvier 1953,co-organisée par l’USAF et la CIA. Celle-ci, secrète à l’époque, est connue aujourd’hui sous le nom de « commission Robertson », et l’on sait qu’elle avait pour but de donner rapidement une caution scientifique à la politique de « debunking » des ovnis (le mot est dans ses recommandations finales). Vallée se plaint en outre d’avoir été attaqué par les ufologues américains – qu’il ne nomme pas - lorsqu’il a révélé et dénoncé cette lettre. Il s’agit principalement de l’équipe du Center for UFO Studies (Cufos), créé par Allan Hynek (décédé en 1987) qui publie l’excellente revue International UFO Reporter (IUR), et d’autres ufologues tels que Brad Sparks, qui ont en effet réfuté fermement ces allégations de Vallée. Je dois dire que j’ai trouvé pour ma part leurs arguments très pertinents, et je les ai exposés dans un étude que l’on peut lire sur Internet à cette adresse : http://home.nordnet.fr/~phuleux/jacques.htm En résumé, le Cufos a expliqué que l’institut Batelle avait écrit pour se plaindre que l’on n’attende pas la fin de l’importante étude statistique sur les dossiers d’observations d’ovnis que la commission Blue Book que lui avait confiée, sous le nom de « projet Stork ». Rappelons que cette étude a été publiée plus tard sous le nom de « Rapport 14 » de Blue Book, et reste encore aujourd’hui l’un des documents les plus solides pour attester la réalité des ovnis (Stanton Friedman ne manque jamais de la citer). On peut comprendre l’irritation de cet institut devant le peu de cas que l’on semblait faire de son étude en haut lieu. Il leur semblait aberrant de réunir une commission scientifique pour statuer sur la réalité des ovnis, sans attendre la fin de leur étude. C’est ainsi qu’il faut comprendre une phrase de la lettre que cite Vallée en dehors de son contexte : « Puisqu'une réunion est maintenant fixée de manière définitive, nous pensons qu'il est nécessaire que le projet Stork et l'ATIC arrivent à un accord concernant ce qui peut et ce qui ne peut pas être discuté lors de la réunion de Washington les 14-16 janvier au sujet de notre recommandation préliminaire à l'ATIC. » La lettre suggérait en outre que soit mis en place un programme d’observation d’ovnis dans une région propice (par exemple au Nouveau-Mexique où il y en avait beaucoup à l’époque), bien équipée, et qui serait testé en y faisant passer des engins aériens ordinaires tels qu’avions et ballons, à l’insu des observateurs. Une démarche scientifique classique, comme l’a fait observer le Cufos, et non pas un noir complot de mettre en scène de fausses apparitions d’ovnis pour tromper le public, comme semble le croire Vallée, encore aujourd’hui. Jacques Vallée a commenté ainsi, mardi soir, la polémique qu’il avait déclenchée en 1993 : « Les ufologues n’ont pas été à la hauteur. On m’a tout de suite accusé d’un tas de trucs. Tous mes livres ont été rejetés ! ». « Faux , je vous coupe ! » lui dit M.-T. de Brosses, soulignant combien ses livres ont eu, et ont encore d’influence aujourd’hui, en particulier Passport to Magonia (1969). Le titre de la version française, A la recherche des extraterrestres (publiée en 1972) est un contresens, comme l’a signalé Vallée lui-même, car c’est dans ce livre qu’il commençait à mettre en doute l’ « hypothèse extraterrestre », ou HET, selon l’expression consacrée ! J. Vallée et M.-T. de Brosses évoquent alors plusieurs de ses livres, dont Messengers of Deception (1979, v.f. en 1983 sous le titre La grande manipulation) , dans lequel Vallée a commencé à développer un autre thème qui lui est cher, celui de la manipulation par des agents de désinformation. C’est ici qu’il faut faire bien attention car, pour Vallée, il ne s’agit pas de cacher les ovnis, mais plutôt le contraire : y faire croire, par d’habiles rumeurs et mises en scène, dans le but de cacher des secrets obscurs qui sont sans doute des connaissances et des technologies très secrètes ! C’est un thème qu’il va reprendre dans pratiquement tous ses livres, et sur lequel il s’est étendu longuement mardi dernier. Rumeurs d’accidents et de contacts M.-T. de Brosses aborde la question des rumeurs d’accidents d’ovnis, et de contacts secrets avec des extraterrestres, en citant une révélation d’un ancien collaborateur bien connu de Walt Disney, Ward Kimball. Celui-ci a révélé (note : en 1979 au congrès annuel du Mufon) que l’USAF avait proposé à Disney, en 1955 ou 1956, de faire un documentaire sur les ovnis, pour lequel elle aurait fourni des prises de vues authentiques d’ovnis, mais le projet avait échoué. Elle rappelle la suite de l’histoire. Une autre proposition, faite par le canal du colonel Coleman, ancien porte-parole de Blue Book, en 1972-73 aux producteurs de cinéma Emenegger et Sandler, devait comporter non seulement des prises de vues d’ovnis, notamment d’astronautes, mais aussi sur un crash d’ovni en en 1949, avec un « alien » vivant qui serait mort en 1952, et sur une rencontre avec trois aliens à Holloman AFB en 1971. Ce second projet a été lui aussi annulé, ainsi qu’une autre proposition faite en 1983 à Linda Moulton-Howe. Puis ce fut le tour de Hynek et Vallée, sollicités par l’Air Force en 1985 pour participer à un nouveau projet de film du même genre, qui serait réalisé par Emenegger. Leur participation était une condition pour faire le film, mais ils ont refusé. M.-T. de Brosses demande à J. Vallée ce qui s’était passé. Celui-ci confirme ces divers épisodes, mais il explique pourquoi, au contraire de Linda Howe, Hynek et lui se sont beaucoup méfiés (comme il l’a déjà raconté dans son livre Révélations). Selon lui, plusieurs visites à la base de Norton en Californie, où sont conservées les archives de l’USAF, n’avairent rien donné de concret. Il se méfiait particulièrement du risque de désinformation visant à amplifier les rumeurs pour « faire croire aux gens qu’il y a des ovnis dans le ciel ». Selon lui, « c’est de la désinformation pour cacher autre chose ». Les Russes aussi font ça très bien, et il cite des rumeurs d’ovnis lancées pour cacher des lancements secrets de « satellites illégaux ». Il y a des programmes de désinformation « massifs », des expériences sociologiques… M.-T. de Brosses questionne ensuite J. Vallée sur une observation, très controversée, fait en Russie à Voronej, dont il a parlé dans son livre écrit avec Martine Castello (UFO Chronicles of the Soviet Union, 1992). Des enfants ont raconté qu’ils avaient vu des êtres de grande taille sortir brièvement d’un ovni posé au sol. Selon Vallée, l’affaire n’est pas claire, il y avait des ovnis dans la région, mais ils n’ont pas eu le temps et les moyens d’en savoir plus. (Rappelons que cette histoire a été mise en doute par Boris Chourinov dans son livre Les Ovnis en Russie ). Ce n’étaient pas des « petits gris », remarque alors M.-T. de Brosses ! En effet, répond Vallée, ils sont arrivés après, dans la foulée du livre Communion de W. Strieber. (Faut-il le rappeler aussi, Vallée n’a cessé de mettre en doute cette grande vague de récits d’enlèvements, apparue aux Etats-Unis, et dans d’autres pays, surtout à partir des années 80). Ensuite, Jacques Vallée revient encore, assez longuement, sur le « mémo de Pentacle », répétant que c’était un scandale : « On peut douter de Roswell, des documents « MJ-12 », mais, au contraire, c’était un document authentique ! ». En fait, ce n’est pas l’authenticité de la lettre qui est mise en question, c’est son interprétation par Vallée. M.-T. de Brosses souligne la piètre opinion qu’il a des ufologues, citant à cet effet un passage éloquent de son nouveau livre Stratagème, sur « ce monde de fous, de charlatans et d’illuminés… ». Elle souligne l’existence de cette « lunatic fringe », y compris en France. Vallée est bien d’accord mais ajoute qu’il y aussi des ufologues qui « font un travail admirable ». Il avait anticipé dans les années 70 l’arrivée des cultes ufologiques, tels que « Heaven’s Gate », mais les ufologues ne l’avaient pas pris au sérieux ! Il y a selon lui un phénomène de crédulité extraordinaire, un « besoin de croire aux extraterrestres » : c’est un phénomène de croyance… Or Il faut élargir l’ « hypothèse extraterrestre », c’est beaucoup plus complexe… M.-T. de Brosses renchérit sur le fossé qui s’est creusé entre les partisans du « tôle et boulonesque » et les autres. Vallée souligne que son livre Passport to Magonia avait été très mal accueilli aux Etats-Unis. M.-T. de Brosses et lui évoquent le cas de David Jacobs qui était au début un bon historien de l’ufologie mais qui est ensuite « tombé dans la marmite aux abductions, à la suite de Budd Hopkins ». Vallée explique qu’il ne peut pas se permettre d’être aussi naïf, compte tenu notamment de son activité professionnelle. M.-T. de Brosses lui demande ensuite de revenir sur sa grande théorie de la manipulation de l’humanité par une « force de contrôle ». Vallée explique de nouveau qu’il y a « une interaction profonde avec la conscience humaine » et que c’est un phénomène qui existe depuis très longtemps. Il y a cependant des aspects physiques incontestables, et tout cela remet en question nos idées en physique fondamentale. Elle lui demande ensuite de dire ce qu’il avait apporté à la réunion de Pocantico en 1997, organisée par Laurance Rockefeller et Peter Sturrock. Vallée répond qu’il y a parlé des calculs sur la luminosité, et d’études de matériaux censés provenir des ovnis. Sur ce point, il conclut ainsi : « Les analyses dont j’ai connaissance montrent des choses terrestres, en cohérence avec la configuration de ce qu’ont décrit les témoins », par exemple pour la composition de fragments métalliques. Remarquons ici que Vallée n’a pas mentionné une affaire qu’il a présentée brièvement à Pocantico, celle des débris d’Ubatuba au Brésil, qui a suscité un débat très important. Je renvoie le lecteur à mon résumé de cette curieuse histoire, à la fin de ce compte rendu. M.-T. de Brosse interroge ensuite J. Vallée sur les dossiers d’accidents d’ovnis, lui rappelant qu’il lui avait dit s’être lancé dans leur étude. Vallée répond qu’il garde l’esprit ouvert là dessus mais qu’il y a beaucoup de gens qui racontent beaucoup de choses… il s’est constitué « une petite collection d’éléments métalliques » mais il « n’y a pas encore de réponse ». Si des éléments ont été récupérés en 1947 ou en 1949, peut-être n’a-t-on pas été capable d’en tirer grand chose. En revanche, si l’on a trouvé des entités biologiques, cela aurait dû avoir des conséquences en biologie, or « ça n’a pas eu lieu ». M.-T. de Brosses lui demande son avis sur le livre du colonel Corso. Vallée l’a rencontré pendant deux jours à NIDS et dit que son manuscrit a été très déformé. Un épisode qui a été supprimé est sa rencontre avec un être non humain, avec contact télépathique… (Je confirme ce récit, divulgué depuis, notamment par le journaliste George Knapp, qui l’avait filmé bien avant son livre et a présenté la vidéo au congrès de Laughlin en mars 2000, auquel j’ai assisté). Comme à Varginha, demande M.-T. de Brosses, faisant allusion au livre du Dr Leir ? Je ne sais pas, je n’ai pas étudié ce cas, répond Vallée (c’est dommage : beau cas ce crash supposé, récent, avec témoignages crédibles sur le « cover-up » militaire. Voir par exemple le livre du Dr Leir Des Extraterrestres capturés à Varginha au Brésil, paru en 2004 en français, et en 2005 en anglais). M.-T. de Brosses lui demande ensuite de parler de NIDS, et de sa réputation de secret. Vallée explique que NIDS existe toujours mais que Robert Bigelow, son créateur, a réorienté ses activités vers l’aérospatial, et Vallée lui-même y est toujours associé. En revanche, le biologiste Colm Kelleher a quitté l’équipe scientifique. M.-T. de Brosses lui demande s’il n’y a pas un « trou noir » sur les résultats d’analyse des implants du Dr Leir. Non, répond Vallée, il y a seulement un accord de confidentialité, « rien de sinistre derrière cela… ». Il faut attendre d’avoir des résultats… M.-T. de Brosses : il n’y a donc pas encore de résultats ? Si, répond Vallée, il y a eu des études publiées sur le site de NIDS, sur les mutilations de bétail, et un livre a été publié sur l’expérience du ranch acheté dans l’Utah, où se passaient d’étranges phénomènes (c’est le livre de Colm Kelleher et George Knapp, Hunt for the Skinwalker, paru en 2005). A la demande de M.-T. de Brosses, Vallée redonne son opinion sur l’affaire de Rendlesham, qui était selon lui une « expérience de guerre psychologique ». Une indication de cela est que, des gens étaient venus dire aux radaristes de « surveiller ce qui allait venir de la mer »… Bien que j’aie lu plusieurs livres sur cette affaire complexe, je ne me souviens pas d’avoir vu cela. J’ai donné mon point de vue dans mon article « Rendlesham et le risque de désinformation », paru dans LDLN N° 370 (novembre 2003). M.-T. de Brosses finit par aborder le nouveau livre de Jacques Vallée, « Stratagème », à dix minutes de la fin de l’émission. Elle observe qu’ « un ufologue en a fait une critique très dure ». J Vallée répond qu’il « a beaucoup, de respect pour lui », mais qu’il n’a pas compris que c’est un roman , et qu’il faut « le lire entre les lignes » … Il revient sur ce thème de la manipulation pour faire croire à des histoires fausses, comme l’affaire Bennewitz (enlèvements dans la base alien de Dulce, etc.). M.-T. de Brosses est d’accord mais soulève le point très critiqué de la reprise, dans son roman, de l’histoire de Nick Redfern, publiée il y a quelques mois (Body Snatchers in the Desert), expliquant Roswell par une expérience ratée d’irradiation en vol de prisonniers chinois handicapés, qui auraient été ramenés de Mandchourie à la fin de la seconde guerre mondiale, expérience que l’on aurait cachée en répandant le rumeur de l’accident d’un ovni… A cela, Vallée répond qu’il ne faut pas la prendre au sérieux car elle est racontée, dans son roman, par un vieux médecin alcoolique… Mais il y aurait bien eu des expériences d’irradiation sur des prisonniers atteints de la progeria, et l’on doit remercier Redfern d’avoir publié des documents qui mettent en doute le crash de Roswell. Que penser de ces « révélations » ? Puisque c’est moi l’auteur de l’article, je remercie ici Vallée pour sa bonne opinion de moi, mais je renvoie tout de même à cet article, à : http://www.spica.org/articles.php?lng=fr&pg=1046 Disons seulement ici que cette histoire de prisonniers chinois handicapés provenant du centre d’expériences de guerre bactériologique japonais de Harbin en Mandchourie est tout simplement impossible : ces prisonniers avaient tous été tués par les Japonais juste avant l’arrivée des Russes en août 1945. De plus, ils utilisaient des prisonniers en bonne santé pour que leurs expériences soient valables ! Je renvoie également à la lecture de ma critique du livre de Nick Redfern, sur le site du GREPI : http://www.ovni.ch/home/frame4.htm Pour finir, Jacques Vallée explique que l’on a perdu beaucoup de temps sur Roswell. Il est sans doute tombé quelque chose, mais il n’y a aucune preuve que c’était un ovni. Ce fut une erreur de Laurance Rockefeller de suggérer au conseiller scientifique du président Clinton d’étudier le cas, en 1994. Il omet de préciser qu’il avait essayé d’en dissuader ce conseiller, à l’insu de Rockefeller. M.-T. de Brosses lui demande de citer un cas digne d’étude, mais Vallée s’y refuse, préférant une approche statistique et globale. Au risque de surprendre, je dirai que l’on peut être d’accord avec cette opinion ! Un bon exemple d’une telle approche reste l’étude de l’institut Battelle… ___________________ Annexe : Des fragments d’ovni à Ubatuba ? Gildas Bourdais (texte de 1997, avec mise à jour, février 2006) L'un des arguments inlassablement avancés par les sceptiques est que les enquêteurs n'ont jamais mis la main sur la moindre preuve matérielle d'un crash d'ovni. Mais comment le feraient-ils, si celles-ci sont supprimées au fur et à mesure qu'elles sont découvertes ? Il existe au moins un cas remarquable de débris supposés d'ovni, ceux trouvés près d'Ubatuba au Brésil, en septembre 1957. Ces débris ont été étudiés par plusieurs laboratoires au Brésil et aux États-Unis, sans que l'on puisse conclure de manière certaine sur leur nature terrestre ou extraterrestre, mais on va voir que certains aspects de l’histoire restent obscurs, encore aujourd’hui. Le 14 septembre 1957, le journaliste brésilien Ibrahim Sued reçoit une lettre à la signature illisible accompagnée de trois échantillons d'une substance d'apparence métallique. Le témoin dit avoir assisté avec des amis à l'explosion en vol, au bord de l'océan, d'une soucoupe dont les débris incandescents sont retombés dans l'eau comme un feu d'artifices, dont il a toutefois pu récupérer quelques morceaux sur la plage. Le médecin Olavo Fontes, ufologue bien connu, lit l'article du journaliste et le contacte. Aussitôt, il obtient de lui les trois fragments. Un premier fragment, l'échantillon n° 1, taillé en plusieurs morceaux, est étudié par le laboratoire des Mines du gouvernement. Plusieurs tests établissent qu'il s'agit de magnésium extrêmement pur, un premier résultat très curieux, sachant que le magnésium, corps très réactif, n'existe pas à l'état pur dans la nature et n'est jamais utilisé dans la construction de véhicules. A l'époque, l'astronome Donald Menzel, père de tous les debunkers, va supposer que c'est un fragment de météorite ; mais l'idée d'un météorite de magnésium pur est parfaitement inconcevable et personne ne se satisfait de cette explication. Résumons les points essentiels de cette longue histoire qui va passer notamment par la commission Condon. Le physicien américain Paul Hill en a donné une analyse très claire et convaincante dans un livre remarquable, Unconventional Flying Objects. A Scientific Analysis, écrit en 1975 mais publié seulement en 1995, après sa mort. Précisons que Paul Hill a fait toute sa carrière à la NASA, où il a atteint des postes de responsabilités importants. Il s'est intéressé personnellement aux ovnis après en avoir observés à deux reprises en 1952 (une grande année). Avec humour, il raconte comment il avait reçu l'instruction de se taire, par voie hiérarchique, alors qu'il était à la NACA, ancêtre de la NASA, et comment, ayant étudié les ovnis toute sa vie à titre personnel, il a écrit ce livre de réflexions sur la physique des ovnis. Il s’est intéressé à l’affaire des débris d’Ubatuba en lisant le rapport du Dr Fontes figurant un livre, paru en 1966, The Great Flying saucer Hoax de Coral Lorenzen, directrice de l’APRO avec son mari Jim Lorenzen. Les Lorenzen ont joué un rôle important dans cette histoire, Fontes étant leur correspondant au Brésil. En lisant Paul Hill, on comprend comment certaines erreurs ont permis de semer le doute. L'analyse du premier échantillon, explique-t-il, fournit un résultat étonnant. Non seulement le magnésium est d'une très grande pureté (on note seulement de faibles traces superficielles d'hydroxyde de magnésium dues sans doute à une réaction en tombant dans l'eau de mer), mais la densité (ou poids spécifique) de cet échantillon, de 1,866 g/cm3, est supérieure de 6,7 % à celle du magnésium ordinaire (1,741 g/cm3). En revanche, elle est presque exactement celle de l'isotope 26, peu abondant sur Terre, dont Paul Hill donne en détail le calcul : 1,861, soit un très faible écart, de 0,005 % seulement, explicable par la limite de précision des mesures. Selon lui, on ne peut imputer cet écart à la présence de traces d’hydroxyde de magnésium, dont la densité est de 2,36, car il en aurait fallu vraiment beaucoup. D’ailleurs, la mesure de densité avait été faite en prélevant un morceau au cœur du fragment pour éviter la contamination. Ce bout de métal, explique Paul Hill, n'a pu être obtenu que par séparation isotopique, un procédé qui n'existe à ce jour, sur Terre, que pour la séparation des isotopes de l'uranium, et avec quelle difficulté ! La suite de l'histoire devient rocambolesque. Le laboratoire, pourtant très compétent, ne songe pas à vérifier ce résultat extraordinaire sur les deux autres échantillons, et détruit le premier dans d'autres tests moins importants. Le Dr Fontes, qui possède un deuxième morceau du premier échantillon, l'a fourni au laboratoire militaire de la Marine, qui l'avait réclamé ; or celui-ci, à son tour, détruit ce morceau ! Il devient donc impossible de poursuivre l'étude de ce premier échantillon, et notamment de faire un test décisif au spectromètre de masse sur la composition isotopique. Le Dr Fontes a alors envoyé les deux autres fragments à ses collèges et amis de l’APRO, Coral et Jim Lorenzen, aux Etats-Unis. Ils ont été découpés en plusieurs morceaux, et certains ont été fournis pour analyse à des laboratoires américains. Aux Etats-Unis, la trace des échantillons devient plus difficile à suivre, explique Paul Hill. Des analyses faites aux laboratoires de Oak Ridge et de la Dow Chemical révèlent une densité proche de la normale, et un certain nombre d'impuretés, avec quand même un résultat curieux: une proportion importante d'aluminium, que l'on ne trouve pas dans les produits courants. (Il faut remarquer ici que, si ces fragments sont bien ceux d'un ovni ayant explosé, on peut supposer qu’ils proviennent de plusieurs pièces faites de matériaux différents.). Puis un fragment fourni par l'APRO à l'armée de l'Air américaine est déclaré détruit sans résultats (oh ! naïveté des premiers ufologues...).Les Lorenzen ont aussi essayé d’intéresser l’ATIC, le service technique de l’armée de l’Air, sans aucun succès. Le dernier fragment échoue, si l'on ose dire, à la commission Condon de l'université du Colorado. Il est testé dans un laboratoire du FBI, après avoir été rendu radioactif dans une pile atomique. On y trouve cette fois une proportion importante de zinc et de strontium. Or la commission Condon découvre que la compagnie Dow Chemical a testé, pendant la guerre, du magnésium très pur avec une part de strontium ; cela lui suffit pour disqualifier toute l'affaire, même s'il est impossible d'expliquer comment un tel échantillon a pu échouer au Brésil. Pour la mesure de densité faite au Brésil, l’ «explication » par la présence d’hydroxyde est adoptée sans problème. Cette affaire d’Ubatuba a provoqué une longue polémique. On ne peut évidemment exclure totalement une supercherie, d'autant plus que le premier témoin demeure introuvable (et il n'a tiré aucun bénéfice de l'histoire), mais on se demande encore comment il aurait pu se procurer un morceau de magnésium d’une aussi grande pureté. Mentionnons ici un article qui avait bien fait le point en France, en 1976 (article de Jacques Scornaux dans la revue LDLN No 158.). L’histoire d’Ubatuba ne s’arrête pas là. D’autres études ont été faites, présentées notamment dans un dossier du Journal of UFO Studies en 1992 (New Series, vol. 4), comprenant une étude faite en 1969-70 par les physiciens Walter Walker et Robert Johnson, qui n’avait pas encore été publiée. Ce dossier de 36 pages reprenait les analyses déjà faites, avec une nouvelle étude faite par le Dr Walker. En 1969, l’APRO lui a confié des fragments, et il a fait des tests non destructifs sur leur structure cristalline. Il a découvert que ce matériau avait été fabriqué selon une technique de croissance directionnelle des cristaux, qui permet d’en augmenter la solidité, technique qui faisait l’objet de recherches actives à l’époque. Cette découverte a été validée par le Dr Robert Johnson, de la Material Resarch Corporation, cosignataire de l’article. Bref, un élément bizarre de plus dans cette mystérieuse affaire. Par contre, le Dr Walker semble accepter les mesures de densité faites aux Etats-Unis. Il observe que, pour l’écart des mesures faites au Brésil, il aurait fallu, pour obtenir ce résultat, que le morceau contienne 21% d’hydroxyde de magnésium, une explication qui lui paraît concevable… Cependant, il reste ouvert, avec cette opinion personnelle à la fin de son rapport : « En résumé, après toutes ces années, je considère que le fragment de magnésium d’Ubatuba est un matériau inusité, d’origine encore inconnue » (« In summary, after all these years, I consider the Ubatuba magnesium fragment as unusual material of still unknown origin ».). Le débat a rebondi avec le livre de Paul Hill paru en 1995. C’est sur cette fameuse mesure de densité faite au Brésil que Hill se démarque complètement des analyses « officielles » faites aux Etats-Unis, comme on l’a vu, alors que même le Dr Fontes les avait plus ou moins acceptées, ainsi que le Dr Walker. En revanche, cette question de la densité va être ensuite de nouveau refermée. C’est deux ans plus tard que l’affaire est évoquée, très brièvement, par Jacques Vallée, à la fameuse réunion de Pocantico, tenue en 1997 à l’invitation de Laurance Rockefeller et animée par le physicien Peter Sturrock, professeur à l’université de Stanford. Celui-ci en a publié les communications dans son livre The UFO Enigma, paru en 1999 (publié en français en 2002 sous le titre La science face à l’énigme des ovnis). Jacques Vallée cite bien l’étude du laboratoire des Mines brésilien qui a trouvé du magnésium extrêmement pur mais, curieusement, ne mentionne pas la mesure de densité correspondant avec précision à l’isotope 26 du magnésium. Il évoque en revanche des travaux ultérieurs, dans le paragraphe suivant, cité ici intégralement : « Des travaux ultérieurs ont été conduits sous la direction de Peter Sturrock, à l’université de Stanford, et dans plusieurs laboratoires en France, incluant l’université d’Orsay, qui ont confirmé que le matériau était composé de magnésium et d’oxyde de magnésium, mais avec une quantité substantielle d’impuretés (Sturrock, 1984), principalement de l’aluminium, du calcium et du fer. L’analyse de cet échantillon continue, avec un effort pour mesurer les ratios isotopiques qui pourraient aider à établir l’origine du matériau. » (texte original ci-après). Ensuite, il signale que la date de l’incident n’est pas certaine : peut-être a-t-il eu lieu en 1933 ou 1934, lorsqu’un bolide s’était écrasé près d’Ubatuba ! Voici encore un curieux développement, cette fois sur le forum « UFO Updates ». L’ufologue canadien Nick Balaskas a révélé le 6 avril 1999 que le Dr Peter Sturrock avait confié en 1997 un morceau de l’un de ces échantillons au Dr Sam Wang, de Vancouver au Canada, pour en déterminer les ratios isotopiques. Selon Balaskas , « les résultats de ce test ont montré que l’isotope 24 du magnésium (qui constitue environ 80% du magnésium terrestre) était pratiquement absent du morceau d’Ubatuba qui avait été testé ». D’autres tests étaient envisagés. J’ai essayé d’obtenir confirmation de cette nouvelle assez sensationnelle, directement auprès du Dr Sturrock, avec qui j’avais déjà correspondu l’année précédente pour lui fournir des éléments sur Trans-en-Provence. Dans un message du 15 mai 1999, je lui ai rappelé les analyses de densité, telles que publiées dans le Journal of UFO Studies en 1992, et dans le livre de Paul Hill en 1995, et je lui ai demandé s’il pouvait me confirmer l’information donnée par Nick Balaskas. Sa réponse a été d’une remarquable brièveté : « Les résultats ‘anormaux’ sont suspects et demandent à être répétés. Je ne revendiquerais pas, à l’heure actuelle, qu’ils prouvent une anomalie isotopique.» (« The ‘anomalous’ results are suspect and need to be repeated. I would not claim any evidence of an isotopics anomaly at this time ».) Les derniers fragments encore disponibles d’Ubatuba (on ne sait plus très bien lesquels, et d’où ils viennent) ont-ils fait l’objet d’une autre analyse ? Je n’en ai pas entendu parler. En revanche, il se trouve que j’ai obtenu un document très intéressant, une copie intégrale de la longue lettre écrite par le Dr Olavo Fontes à Coral Lorenzen, datée du 27 février 1958. Cette lettre devait rester confidentielle mais elle a été retrouvée dans les archives de l’APRO, par quelqu’un qui n’a pas été nommé. Il n’est pas très difficile, cependant, d’en imaginer l’identité, sachant que Bill Moore a révélé en 1989 au congrès du Mufon qu’il avait espionné l’APRO, dont il était membre du comité directeur dans les années 80, pour le compte des militaires de l’AFOSI. Il est peut-être opportun de rappeler ici que l’APRO avait été désigné nommément comme un organisme à surveiller, dans le rapport de la commission Robertson de janvier 1953, secret à l’époque, mais publié en 1969, en Annexe du rapport Condon ! Dans cette lettre, le Dr Fontes racontait comment il avait eu à plusieurs reprises la visite d’officiers de la marine brésilienne qui avaient lourdement insisté pour qu’il leur remette les débris d’Ubatuba en sa possession. Devant le refus de Fontes, ils lui avaient alors fait des révélations sur les secrets ovni, dans le but de lui faire saisir l’importance de l’affaire. J’ai pour ma part publié des extraits significatifs de cette lettre dans mon livre « Ovnis. La levée progressive du secret ». On y apprend notamment qu’il y avait eu plusieurs ovnis accidentés (déjà en 1957 !), et qu’il y avait eu des tentatives d’interception par la chasse américaine, lesquelles avaient toutes échoué, certains appareils étant même abattus, au point que ces tentatives avaient été arrêtées. Il est probable que cette piste d’informations et de révélations est définitivement close, étant donné que le Dr Fontes est mort de cancer en 1968, âgé seulement de 43 ans. Jim Lorenzen est décédé en 1986, Coral en 1988, et les archives de l’APRO semblent être inaccessibles aujourd’hui. ______________________ Extrait du texte original de la présentation de Jacques Vallée à Pocantico (The UFO Enigma, p. 239) : “Subsequent work under the direction of Peter Sturrock has been conducted at Stanford University and at various laboratories in France, including Orsay University, confirming that the material was magnesium and magnesium oxide, but with substantial impurities (Sturrock, 1984), primarily aluminum, calcium, and iron. Analysis of this sample is still ongoing, with an effort to measure isotopic ratios that might help establish the origin of the material (Lorin and Havette, 1986). The date of this event, often quoted in the literature as 1957, is actually imprecise. Dr. Pierre Kaufmann of São Paulo believes the original incident took place in 1933 or 1934, when a bolide indeed passed over Ubatuba and crashed at a nearby beach. The only aerial event to occur at or near Ubatuba in 1957 was the crash of a DC-3.”

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